Après avoir mis tant d'efforts dans la mesure des raies du triplet de calcium, il faut assouvir sa curiosité: la classification des étoiles C selon le rapport CaII/CN est-elle liée d'une quelconque façon aux conditions physiques des étoiles? Par conditions physiques, j'entends la température effective, la luminosité ou la métallicité.
Commençons par la métallicité. On soupçonne une influence de celle-ci
sur l'évolution des étoiles C (le rapport C/M augmente dans les régions
de faible métallicité, voir figure ). De plus, les
études photométriques JHK de Cohen et al. (1981) montrent des
pentes différentes dans le diagramme couleur-couleur entre les étoiles C
galactiques et magellaniques. Malheureusement, il est pour ainsi dire
impossible de mesurer directement la métallicité des étoiles C. Il
s'agit toujours du même problème, les bandes d'absorption moléculaires
sont omniprésentes. Passons donc à la température.
L'étude des étoiles géantes M tardives par Xu (1991) montre que le triplet de calcium dans ces étoiles dépend fortement de la température effective. Le triplet de calcium des étoiles C (qui sont des géantes rouges), devrait donc se comporter de façon similaire. Alors, la question est la suivante: comment détermine-t-on la température des froides étoiles C?
Quelques méthodes ont été utilisées: l'occultation lunaire, l'interférométrie optique et la spectrophotométrie sont les principales. Tsuji (1981a), entre autres, a déterminé la température d'une trentaine d'étoiles C par la méthode du flux infrarouge qui dépend de modèles d'atmosphère. Cependant, son application aux étoiles de température inconnue nécessite l'observation d'un indice à m. J'ai opté pour la calibration de Bessell et al. (1983) qui lie température (déterminée par occultation lunaire) et photométrie JHK:
Grâce à la photométrie rapide, l'occultation par la Lune d'une étoile C permet de mesurer son diamètre, . Sachant également le flux d'énergie reçu sur Terre, , on en déduit facilement la température à la surface de l'étoile, (voir Quirrenbach et al., 1994):
où est la constante de Stefan-Boltzmann et est le diamètre avec correction pour le limb darkening.
Les relations suivantes ont été utilisées pour transformer la photométrie JHK de Noguchi et al. (1981) (pour les étoiles C de la Voie lactée) à celle du système de Johnson (voir Claussen et al., 1987):
Aucune relation directe entre le système utilisé par Whitelock (le système SAAO; pour les étoiles C magellaniques) et le système de Johnson n'est publiée. Par contre, Carter (1990) publie la relation avec le système de AAO. Par ailleurs, Jones & Hyland (1980) affirment que le système AAO est le même que celui de Johnson. Donc:
Grâce à ce nouvel outil d'analyse, on peut revenir en arrière et étudier
comment varient les quatre mesures effectuées sur les spectres et
tabulées dans le tableau . Le résultat de cet exercice
est présenté à la figure
. Toutes les étoiles ayant des
données JHK et des mesures de raies sont tracées. Cependant, seules les
étoiles galactiques (celles de type connus: C-N, C-J ou C-R) ont servi
pour la détermination de la droite (par la méthode des moindres carrés) car elles ont des valeurs de
mesures plus sûres. Une douzaine d'étoiles (plusieurs de type C-R et
C-H) pour lesquelles il manque les données JHK (donc, la température) ne
sont pas inclus dans le calcul. De même, un ou deux points beaucoup plus
bas que la droite sont exclus.
Figure: Lien
entre les quatres mesures de raie et la température. Les raies qui
varient le plus sont les deux raies de calcium, et de plus elles varient
dans le même sens. Les raies de cyanure sont moins sensibles à la
température (CN8648 est insensible avec une pente nulle). La sensibilité
négative de CN8503, au pire, accentue le rapport CaII8498/CN8503, ce
qui ne nuit pas aux conclusions de ce mémoire.
On s'aperçoit que les raies de calcium ont à la fois les pentes les plus prononcées et les plus positives. C'est signe qu'elles sont les plus sensibles au paramètre de température. Les raies de cyanure (CN) sont moins prononcées et légèrement négatives. La raies CN8648 Å est même complètement insensible à la température (sa pente est presque nulle). Cependant, la pente de la raie CN8503 Å a peut-être une légère sensibilité à la température mais son effet est d'exagérer le rapport CaII8498/CN8503 au lieu de le diluer, ce qui ne nuit pas aux conclusions de ce mémoire. En somme, l'hypothèse de travail est bien valide: on peut considérer les raies de CN constantes et utiliser le rapport CaII/CN comme mesure de la force du triplet de calcium sans perte de généralité. Cela permet à la fois d'adoucir les erreurs de mesure (quand on fait CaII/CN) et de combiner des mesures (CaII8498/CN8503 + CaII8662/CN8648). Voilà pourquoi je concentre mes efforts à simplement analyser le rapport .
La figure montre le lien qui existe entre les mesures de
et la température. Ici, seul le point
à 4100 K, les étoiles des NM et les étoiles sans donnée de température
n'ont pas été inclus dans la détermination de la droite. On constate que
la majorité des étoiles C ont une température comprise entre 2300 et 3200 K.
Malgré une dispersion plus importante pour les étoiles C magellaniques,
on constate que ces étoiles se superposent assez bien aux étoiles C
galactiques et tracent à peu près la même pente. Cela indique que le
paramètre température influence les étoiles des deux galaxies de
façon identique. Malheureusement, ce n'est pas par ce critère que nous
distinguerons les étoiles des deux galaxies.
Sur une note positive, c'est la première fois, à ma connaissance, qu'est vérifiée la forte dépendance du triplet de calcium à la température, pour les étoiles C. Ainsi, la force du triplet de calcium suit:
Xu (1991) a fait la même observation pour les autres étoiles géantes, celles de types K et M tardives. Van Belle et al. (1999) ont récemment publié la température (par observation interférométrique du diamètre angulaire stellaire) de 113 étoiles géantes et une équation qui lie température et type spectral:
où le type spectral, TS = -2, 0,5,6,14 correspond à classes G8,
K0,K5,M0,M8. Par ailleurs, Xu (1991) a mesuré la largeur équivalente
des raies de calcium pour 72 étoiles géantes. On en tire le graphique de
la figure qui exprime la largeur équivalente de la raie
CaII 8662 Å en fonction de la température. On réalise qu'existe une
brisure à environ 3700 K: à droite, la force de la raie diminue vers les
hautes températures; à gauche, la force augmente très rapidement avec la
température. Les étoiles C sont des géantes se trouvant du côté gauche
du graphique.
Maintenant, y a-t-il une relation entre rapport CaII/CN et
luminosité? Pour répondre à cette question, il faut transformer les
magnitudes JHK en magnitudes bolométriques. Seules les étoiles
magellaniques servent dans cette analyse puisqu'on connaît leur distance
contrairement aux étoiles galactiques. J'utilise encore les données
photométriques de Whitelock (tableau ) et les rapports
du tableau
.
Pour déterminer la magnitude bolométrique des étoiles C, j'ai utilisé la relation développée par Frogel et al. (1980) puis reprise par Costa & Frogel (1996) (dans le système CTIO):
où j'ai utilisé les conversions publiées par Carter (1990):
Comme on cherche la luminosité bolométrique absolue, j'utilise les
valeurs de distance, discuté dans la section 1.1, de 50 kpc
() et 58 kpc () pour le GNM et le
PNM respectivement. La figure présente le lien entre le
rapport CaII/CN et la magnitude bolométrique absolue. Trois étoiles ont
un rapport 4 et n'apparaissent pas sur le
graphique.
Figure: Lien entre le rapport CaII/CN et la luminosité bolométrique
absolue pour 57 étoiles C magellaniques. Apparemment, aucun lien
n'existe entre la force du triplet de calcium et la luminosité.
On constate sur cette figure que la force du triplet de calcium ne semble liée à la luminosité bolométrique d'aucune façon. On aurait pu s'attendre à ce qu'elle augmente vers les plus faibles luminosités (log(g) plus grands). Ce n'est pas le cas.
Pour conclure, la force du triplet de calcium telle qu'évaluée par le rapport CaII/CN semble liée à la température effective des étoiles C, ce qui est en accord avec les études faites sur les géantes rouges tardives. Par contre, aucun lien n'existe entre le rapport CaII/CN et la luminosité des étoiles magellaniques. Le lien avec la métallicité ne peut être vérifié, faute de mesures de métallicité dans l'atmosphère des étoiles C. Enfin, le rapport CaII/CN est un outil qui jauge bien la force du triplet de calcium puisque les raies de CN sont pour ainsi dire constantes.